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lundi 21 janvier 2019

Le grain de sable de l’huître perlière




« Attends maîtresse... Je prépare mon examen de super-héros » dit Y...., alors que je viens de taper dans les mains pour signifier la fin de la récréation. Il tend alors son bras gauche bien droit vers l’avant, tout en plaçant son autre bras en arrière, fermant le poing, comme s’il bandait un arc, et court, d’un pas un peu pataud, se mettre en rang. Je le regarde, amusée, prêt à s’envoler vers de nouvelles aventures… mais aussi un peu triste, car ce n’est pas parce qu’on est – ou croit être - un super-héros qu’il est plus facile d’apprendre à l’école.




 Et comme dans les films et séries Marvel, les super-héros arrivent par wagon entier. Voilà M...  … ou plutôt Spiderman ! Tout ceux qui surveillent régulièrement une cour de récréation savent que c’est un lieu où l’improbable y est toujours possible. Il y a très peu de choses dont je suis sûre en pédagogie, mais celle là fait partie du trio de tête : mes élèves seront toujours capables de me surprendre.

 Mais essayons de décrire ce que j’ai en face de moi. M... porte un gilet rouge à capuche avec le motif de la toile d’araignée de Spideman. Jusque là, rien que du banal. La coupe de la capuche de la veste m’a juste semblé bizarre, avec une fermeture éclair tout le long de la bordure. Et M... est justement en train de fermer cette fermeture éclair – compétence maîtrisée – et la capuche se transforme en masque de Spiderman qui recouvre entièrement son visage et je comprends alors la fonction des deux yeux en plastique noir qui ornaient la capuche. Tout super-héros que l’on est, on a quand même besoin de voir où on met les pieds.

-« M..., non ! » - ces enseignants qui sont toujours en train de dire non !- « remets ta cagoule en capuche ! » - je ne suis pas certaine que ma consigne soit clairement formulée... A priori si, mais le sourire qu’il avait sur la figure a disparu. Là, j’ai cassé du rêve.

Rapatrier tout le monde dans une cour de récréation, c’est long. Je compte, il m’en manque un… N...… forcément. Je prends la direction du coin où elle aime se cacher et je la vois s’approcher, les mains dans les poches, l’air rebelle, un sourire en coin quand même. « L’habit ne fait pas le moine » dit le proverbe, j’en ai en face de moi une belle incarnation. Coupe au carré impeccable, habits de petite fille modèle, costume incarnant ce que ses parents voudraient qu’elle soit…mais complètement boueux. Parce que elle, tout ce qu’elle veut, c’est être une Rebelle. Les jours où elle est habillée en noir, un peu trash – comme sa mère soit dit en passant – elle ne prend pas les ciseaux pour se couper une mèche de cheveux pour que son carré soit un peu moins régulier et je suis presque sûre que je la recadre un peu moins. La culture des apparences a de beaux jours devant elle !

Çà y est, j’ai tout le monde et presque un rang. Mes yeux se posent alors sur une autre « innovation » vestimentaire : le caleçon Reine des neiges avec portraits géants, une sœur sur chaque jambe ! Parce que les super-héros n’ont qu’à bien se tenir, ils rencontrent des adversaires redoutables – là aussi, il y en a légion – les princesses Disney.

-« Tu arrêtes de jouer avec les paillettes du tee-shirt de ta copine » - Ah, les innovations qui permettent d’avoir des paillettes qui se retournent et changent de couleur… C’est joli mais qu’est-ce que ça leur prend comme temps et comme énergie !
-« Non, tu n’arraches pas les strass des chaussures de tes copines pour les mettre dans ton coffre à trésor » - Je dis encore non et je casse encore du rêve !
-« L..., je ne crois pas que maman va être très contente, tu as sali ta robe (longue, tout en tulle, rubans, volants, jupons, paillettes…) et je ne crois pas qu’elle soit très facile à nettoyer » - Pourquoi je pense toujours aux mamans quand je parle du nettoyage du linge ?

Çà y est, j’ai un rang, j’ai le silence, j’ai rappelé, comme tous les jours, deux fois les consignes de retour en classe : 
-« On entre en silence pour ne pas déranger les autres classes qui travaillent ; on pose les chaussures et on met les chaussons ; on passe aux toilettes pour faire pipi si on en a besoin et on se lave les mains avant d’entrer en classe. » 

Je prends le pari avec moi même, cinq « on enlève les chaussures ? » , deux élèves qui entrent dans la classe avec le bonnet sur la tête, la moitié à renvoyer aux toilettes avec un « Est-ce que tu t’es lavé les mains ? », un « Mais on enlève le manteau avant de se laver les mains ! » (en espérant juste que l’élève en question n’aura pas envisagé de se laver les mains jusqu’aux coudes en gardant son manteau – c’est promis, tout ce que je raconte ce n’est rien que du vécu!).

En les regardant passer la porte, mon esprit se met à vagabonder à nouveau et je repense à Y... qui lui, était persuadé qu’il saurait lire dès qu’il aurait passé la porte de la grande école. Les choses ont été un peu plus compliquées que cela (beaucoup plus pour être honnête) !

Mon regard tombe alors sur une affiche « maison » A4 qui se trouve sur l’un des panneaux d’affichage de l’entrée. Cette feuille est là depuis plusieurs années, visible aux yeux de tous, parents, enfants, enseignants. Il y en a des variantes personnalisées dans plusieurs classes de l’école, dans la tisanerie, dans le bureau de la directrice. C’est le compte-rendu synthétique d’un conseil de maître(sses) qui était parti en cacahuète, un moment de folie douce où on se met à rire de nos galères, de nos détresses, de nos désillusions d’enseignant. Ça commence souvent par une décompression nerveuse et ça finit en grand guignol… Mais qu’est-ce que ça fait du bien !

L’affiche est toute simple, il y a un dessin au trait d’une fée façon fée Clochette avec un slogan « On n’est pas des fées ! ». Nous avions pousser le vice jusqu’à personnaliser les fées en fonction de nos tempéraments, la rêveuse, la jardinière… Moi, j’avais hérité de champignons hallucinogènes… allez savoir pourquoi… Et voilà une des rares autres choses dont je suis certaine en matière de pédagogie : il n’y a pas de baguette magique. Envolée la fée, envolée la maîtresse des albums jeunesse et des séries télés pour enfant.

Reste l’enseignante, celle qui essaye de mettre des mots et des images sur le monde pour le faire comprendre un peu mieux à ses élèves. « Quand on s’approche des mots, on s’approche du monde. » (Citation d’une maman en situation d’illettrisme recueillie dans le cadre de la recherche action des Actions Éducatives familiales).

Et tout cela tient souvent à des petites choses (l’un de mes autres piliers pédagogiques!), à un simple changement de point de vue, pour arriver à leur faire utiliser leur « petites cellules grises ».

...Hercule Poirot, Miss Marple, Scherlock Holmes… Voilà une autre famille de personnages stéréotypés qui se joint à ce défilé digne de Carnaval !

- « Bon sang mais c’est bien sûr ! » 

Et si, pour une fois, un personnage archétypal pouvait m’aider à construire des apprentissages ? Un détective trouve la solution à une énigme. Ne peut-on pas dire la même chose en ce qui concerne un élève de GS (ou de début de CP) face à un texte écrit, même si celui-ci lui est accessible ? Le personnage du détective ne peut-il pas me permettre de les aider à appréhender ce qu’est un raisonnement, qu’il peut se passer quelque chose dans la tête ?

Je crois que je tiens une piste ...


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