Il
n’y a pas que l’élève qui doit être en mesure de se décentrer
et d’adopter le point de vue d’autrui. L’enseignant aussi et il
se voit alors dans l’obligation d’abandonner en partie une vision
monolithique et unique de la compréhension.
Evaluer
finement la compréhension de textes « simples » montre
combien certains élèves sont déjà loin des attendus de l’école.
Choisir les textes proposés doit se faire au cas par cas, en fonction
d’objectifs clairs et
précis et en fonction de la classe.
Certains albums permettront de travailler une compréhension fine
globale, d’autres, des points de détails. Alors
ne
nous privons ni
des albums cartonnés comme les livres à toucher, ni
de textes ardus par peur de l’incompréhension.
Depuis
plusieurs années, ma classe participe au prix
des jeunes lecteurs organisé par la Bibliothèque départementale de
prêt. La tranche d’âge (5/7 ans) se compose d’albums
extrêmement variés par leur nature et leur difficulté. Dans bien
des cas, ce sont des livres que je n’aurais pas lu à mes élèves
mais cela m’a permis d’observer leurs réactions à des textes à
priori pas adaptés – en tout cas dans l’esprit scolaire. Ce
n’est ni la longueur du texte, ni la qualité des illustrations, ni
la difficulté des mots qui font qu’ils adhèrent ou pas à une
histoire. C’est souvent une question d’alchimie, d’équilibre
précaire entre toutes les composantes de l’album. Dans le cas des
élèves de GS, élèves encore non lecteurs, la part de
l’oralisation par l’enseignant, de la mise en mots et en scène
de l’histoire apparaît comme un facteur déterminant. S’intéresser
à ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas, leur demander de le
formuler, met en relief les différentes façons qu’ils ont
d’appréhender le monde, la diversité de leurs goûts et de leurs
avis, parfois très tranchés.
Deux
parallèles me viennent à l’esprit. Le premier est celui de la
piscine. Mes élèves ne savent pas nager mais quand on va à la
piscine, où ils sont bien sûr équipés de flotteurs de natures
variées, - je ne suis pas là pour les noyer ! - ils évoluent
dans tout le bassin, y compris là où ils n’ont pas pied. Il ne me
viendrait pas à l’idée de les cantonner à jouer uniquement là
où ils ont pied. Là encore, tout est histoire de pédagogie, de
mise en confiance, de construction progressive dans les
apprentissages. Il est aussi question de prise de risque, de savoir
être et de savoir faire… Et quelle fierté quand on a su faire le
parcours Titeplage1
sans rien, ni brassard, ni frite, ni ceinture… juste la maîtresse
pour assurer notre sécurité physique et affective, nous encourager et nous aider si c’était trop difficile.
Le
deuxième parallèle est celui des contes. Je n’entrerai pas dans
une analyse longue et fine, je me contente juste d’une remarque :
n’est-il pas évident que la compréhension du petit chaperon rouge
par un enfant de 4 ans diffère de celle que Bruno Bettelheim expose
dans « La psychanalyse des contes de fées » ?
Bien
sûr, on ne peut se dédouaner du travail explicite de la
compréhension mais acceptons qu’il existe des niveaux de lecture
et d’interprétation. Partageons, accompagnons et souvenons nous
toujours que nous continuerons à nous construire en tant que lecteur
tout au long de notre existence.
Alors
juste pour le plaisir de partager… une autre petite pierre tirée
encore une fois du livre d’Elzbieta, "L'Enfance de l'art" (Le Rouergue, 1997)
pour construire notre réflexion autour de ce projet.
« Elle [la
magie] est
le fait du héros de l’histoire, autrement dit de l’enfant
lui-même. Elle lui apprend que c’est de lui que viendra, le moment
venu, la solution de ses difficultés. Donner d’avance la nature de
cette solution impliquerait de construire une histoire au premier
degré. Or personne n’est en mesure de prédire à un enfant ce qui
l’attend. En revanche on peut essayer de lui insuffler espoir et
confiance et on peut lui faire pressentir l’existence de ses
ressources intérieures. (...) “Ce
train va bien à Brighton, n’est-ce pas ?”
m’enquis-je un jour,
quelques minutes avant le départ, auprès d’un autre voyageur. Au
lieu de m’affirmer simplement que oui, il me répondit :
“Well,
I hope so !”
Et cet “Espérons-le !”
permettait de
m’apprendre, sans me le dire, qu’il y allait lui-même, qu’il
serait tout aussi embêté que moi de s’être trompé et qu’au
pire nous serions au moins deux, ce qui est déjà rassurant !
1Situation
d’apprentissage proposée dans l’album à nager « Le
fabuleux voyage de Lola » aux éditions EPS
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