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vendredi 19 juillet 2019

Archétypes, stéréotypes, systèmes de personnages et cie


Dans l'actualité de l'école maternelle, les mots "archétype" et "stéréotype" ont fort mauvaise presse. Ils sont très fortement associés – à fort juste raison – à l'(in)égalité filles-garçons1, du moins pour le niveau d'enseignement qui nous intéresse. Il s'agit ici de lutter contre la mise en place de stéréotypes à valeurs discriminantes, lourds de conséquences.

Se questionner sur les modalités d'installation de ceux-ci, sur leur nature, sur l'infinie variété des formes qu'ils peuvent prendre, sur l'usage que l'on en fait – consciemment ou non – permet de replacer l'école dans un contexte social et culturel beaucoup plus vaste et de définir les valeurs que celle-ci entend réellement défendre2... y compris en utilisant archétypes, stéréotypes, système de personnages.


Ces derniers, enfermés dans une problématique médiatique envahissante, sont jugés sévèrement dans le monde de l’Éducation, mais ont été, à l'inverse, un sujet d'études fort prisé dans les milieux universitaires, avec profusion de textes de chercheurs, dans de nombreuses disciplines3. Car le premier problème que l'on rencontre dans l'utilisation de ces deux mots est la multitude de domaines d'utilisation (philosophie, psychologie, sociologie...) et de sens associés, plusieurs s’entrecroisant, se recoupant ou s'opposant. Cela complique sérieusement la tâche de clarification cognitive de l'enseignante que je suis mais en fait aussi sa richesse.
Ils sont à la croisée des chemins, celui des sciences sociales et de la littérature pour le stéréotype, celui de la philosophie et de la psychologie pour l'archétype. Ils ont cependant tous un point commun ( comme l'indique la fin des mots avec "-type"), c'est celui de vouloir ranger, classer, expliquer le monde - à travers l'image des personnages et des relations qu'ils entretiennent les uns avec les autres, dans le champ d'études qui nous intéresse ici .
L'angle d'attaque n'est donc pas aisé à définir si l'on veut tenter d'avoir un regard un peu critique et distancé car le travail de l'enseignant, la pédagogie, qu'elle soit dans sa phase réflexive ou opérationnelle, n'appartient pas exclusivement à l'un des domaines disciplinaires évoqués. Notre pratique est elle aussi à la croisée des chemins, d'autant plus en maternelle où nous ne sommes pas encore dans une entrée disciplinaire des savoirs.

Et comme beaucoup, nous ne levons les yeux de notre ouvrage que quand il y a résistance – et c'est bien humain, personne ne démonte le moteur de la voiture quand elle marche au quart de tour! Quand tout va bien, il n'y a qu'à choisir entre le personnage archétypal de l'ogre, de la sorcière, de la princesse pour les personnages en costume, entre le loup, l'ours ou le renard pour les animaux porteurs de valeurs, et finir en posant les classiques réseaux de personnages, lapin/carottes (et oui, même la carotte peut accéder au statut de personnage!), crapauds/sorcière, lapin/renard, loup/renard (vestige du Moyen-Age et du Roman de Renard). Et pour finir, il ne reste plus qu'à évaluer la reconnaissance du personnage archétypal (niveau 1 du brevet de réussite), la conscience du lien et de l'écart entre le stéréotype et les usages parodiques (niveau 2), la notion de symbolisation à travers l'usage de l'animal pour véhiculer des valeurs (niveau 3), et la compréhension fine dans des situations faisant appel de façon implicite à des réseaux de personnages (niveau 4).
Oui mais voilà, l'enseignant a en face de lui des élèves – et dans mon cas, depuis plus de 20 ans, des élèves de Zone d’Éducation Prioritaire. Et c'est là que les choses se compliquent car vous avez choisi non pas un mais deux personnages (l'ogre et la sorcière) pour travailler ces compétences ( "on va essayer de consolider les acquis") et vous prévoyez une petite évaluation du lexique des personnages des contes et des histoires de fin de GS, juste pour voir où en sont vos élèves dont le français n'est pas la langue première. Vous découvrez alors que pour une part non négligeable (pour ne pas dire importante) de votre classe, il y a confusion entre sirène, princesse et fée, y compris pour les élèves qui ne souffrent pas de la barrière de la langue. Et oui, vous ne l'aviez pas travaillé, vous l'aviez considéré comme un acquis implicite, un "ce qui va de soi".
C'est quand le "plus rien ne va de soi" que les questions arrivent, quand les apprentissages ne se posent pas de manière évidente, quand suivre une recette (celle d'un livre du maître) ne suffit pas pour faire accéder aux attendus. C'est la difficulté, la résistance, parfois même l'opposition, qui amènent, par la nécessité de survie et le refus de son propre échec, à la recherche d'alternatives. De plus, les questions et solutions pour les élèves les plus loin des apprentissages sont souvent profitables à tous, dans le sens où l'enseignant a clarifié sa pensée, son rapport aux savoirs enseignés et personnalisé sa mise en mots, ses outils et ses supports.

Il faut pour cela être en mesure d'appréhender les effets du manque de références culturelles. Ce n'est pas difficile. Il suffit de faire le parallèle avec notre compréhension des modalités de fonctionnement d'une autre civilisation ( époque ou lieu différent). J'adore déambuler dans le musée Guimet à Paris (musée national des Arts asiatiques). Il est beau et apaisant mais chaque oeuvre me rappelle à quel point une culture peut être éloignée de la mienne, à quel point je n'en ai que peu de clefs de lecture.

J'avais envisagé de transformer l'image ci-contre en tee-shirt accompagnée de la phrase: "Attends, je n'ai pas de bras qui ont poussés pendant la nuit!" - phrase que je répète très fréquemment à mes élèves impatients - mais je suis beaucoup trop respectueuse des croyances d'autrui pour cela. Les choses restent belles et plaisantes, elles peuvent nous toucher esthétiquement, on peut les décrire, mais on ne sait quel sens y mettre, on ne voit pas les valeurs qu'elles incarnent ou ont incarnées aux yeux d'autrui. Elles sont, d'une certaine manière, vides de sens ou chargées d'un autre sens. Nous avons le devoir de nous dire que nos élèves peuvent en être là.


Dans "La crise de la culture ", Hanna Arendt écrivit:"Les valeurs sont des articles de société qui n'ont aucune signification en eux-mêmes mais qui, comme d'autres articles, n'existent que dans la relativité en perpétuel changement des relations et du commerce sociaux".4


1La question s'avère beaucoup plus vaste à l'échelle de tout le cursus scolaire et est riche en rebondissements – parfois fort outrançiers – depuis les ABCD de l'Egalité, autrement dit depuis que l'Ecole a questionné et formalisé de façon explicite les valeurs qu'elle entendait transmettre.

2La polémique se focalise sur le contenu et les supports mais pose une question de fond qui est le difficile équilibre à trouver pour l'Ecole, en tant que représentante de l'Etat, dans l'acquisition des valeurs morales, se plaçant dans un "savoir être" et non uniquement dans un "savoir- faire". Ce n'est qu'un épisode supplèmentaire de cette longue histoire qui a commencé avec les divergences de visions éducatives de Sparte et d'Athènes ("une éducation spartiate") ou les nombreux conflits entre l'Ecole laïque et les Institutions catholiques du temps de Jules Ferry.

3Merci à Internet, aux bibliothèques universitaires, à la BNF, aux sites comme CAIRN info de mettre à disposition cette mine d'intelligence et de réflexion en la rendant facilement accessible!

4p.47 Edition Folio

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