Dans
l'actualité de l'école maternelle, les mots "archétype"
et "stéréotype" ont fort mauvaise presse. Ils sont très
fortement associés – à fort juste raison – à l'(in)égalité
filles-garçons1,
du moins pour le niveau d'enseignement qui nous intéresse. Il s'agit
ici de lutter contre la mise en place de stéréotypes à valeurs
discriminantes, lourds de conséquences.
Se
questionner sur les modalités d'installation de ceux-ci, sur leur
nature, sur l'infinie variété des formes qu'ils peuvent prendre,
sur l'usage que l'on en fait – consciemment ou non – permet de
replacer l'école dans un contexte social et culturel beaucoup
plus vaste et de définir les valeurs que celle-ci entend réellement
défendre2...
y compris en utilisant archétypes, stéréotypes, système de
personnages.
Ces
derniers, enfermés dans une problématique médiatique envahissante,
sont jugés sévèrement dans le monde de l’Éducation, mais ont
été, à l'inverse, un sujet d'études fort prisé dans les milieux
universitaires, avec profusion de textes de chercheurs, dans de
nombreuses disciplines3.
Car le premier problème que l'on rencontre dans l'utilisation de ces
deux mots est la multitude de domaines d'utilisation (philosophie,
psychologie, sociologie...) et de sens associés, plusieurs
s’entrecroisant, se recoupant ou s'opposant. Cela complique
sérieusement la tâche de clarification cognitive de l'enseignante
que je suis mais en fait aussi sa richesse.
Ils
sont à la croisée des chemins, celui des sciences sociales et de la
littérature pour le stéréotype, celui de la philosophie et de la
psychologie pour l'archétype. Ils ont cependant tous un point commun
( comme l'indique la fin des mots avec "-type"), c'est
celui de vouloir ranger, classer, expliquer le monde - à travers
l'image des personnages et des relations qu'ils entretiennent les uns
avec les autres, dans le champ d'études qui nous intéresse ici .
L'angle
d'attaque n'est donc pas aisé à définir si l'on veut tenter
d'avoir un regard un peu critique et distancé car le travail de
l'enseignant, la pédagogie, qu'elle soit dans sa phase réflexive ou
opérationnelle, n'appartient pas exclusivement à l'un des domaines
disciplinaires évoqués. Notre pratique est elle aussi à la croisée
des chemins, d'autant plus en maternelle où nous ne sommes pas
encore dans une entrée disciplinaire des savoirs.
Et
comme beaucoup, nous ne levons les yeux de notre ouvrage que quand il
y a résistance – et c'est bien humain, personne ne démonte le
moteur de la voiture quand elle marche au quart de tour! Quand tout
va bien, il n'y a qu'à choisir entre le personnage archétypal de
l'ogre, de la sorcière, de la princesse pour les personnages en
costume, entre le loup, l'ours ou le renard pour les animaux
porteurs de valeurs, et finir en posant les classiques réseaux de
personnages, lapin/carottes (et oui, même la carotte peut accéder
au statut de personnage!), crapauds/sorcière, lapin/renard,
loup/renard (vestige du Moyen-Age et du Roman de Renard). Et pour
finir, il ne reste plus qu'à évaluer la reconnaissance du
personnage archétypal (niveau 1 du brevet de réussite), la
conscience du lien et de l'écart entre le stéréotype et les usages
parodiques (niveau 2), la notion de symbolisation à travers l'usage
de l'animal pour véhiculer des valeurs (niveau 3), et la
compréhension fine dans des situations faisant appel de façon
implicite à des réseaux de personnages (niveau 4).
Oui
mais voilà, l'enseignant a en face de lui des élèves – et dans
mon cas, depuis plus de 20 ans, des élèves de Zone d’Éducation
Prioritaire. Et c'est là que les choses se compliquent car vous avez
choisi non pas un mais deux personnages (l'ogre et la sorcière) pour
travailler ces compétences ( "on va essayer de consolider les
acquis") et vous prévoyez une petite évaluation du lexique des
personnages des contes et des histoires de fin de GS, juste pour voir
où en sont vos élèves dont le français n'est pas la langue
première. Vous découvrez alors que pour une part non négligeable
(pour ne pas dire importante) de votre classe, il y a confusion entre
sirène, princesse et fée, y compris pour les élèves qui ne
souffrent pas de la barrière de la langue. Et oui, vous ne l'aviez
pas travaillé, vous l'aviez considéré comme un acquis implicite,
un "ce qui va de soi".
C'est
quand le "plus rien ne va de soi" que les questions
arrivent, quand les apprentissages ne se posent pas de manière
évidente, quand suivre une recette (celle d'un livre du maître) ne
suffit pas pour faire accéder aux attendus. C'est la difficulté,
la résistance, parfois même l'opposition, qui amènent, par la
nécessité de survie et le refus de son propre échec, à la
recherche d'alternatives. De plus, les questions et solutions pour
les élèves les plus loin des apprentissages sont souvent
profitables à tous, dans le sens où l'enseignant a clarifié sa
pensée, son rapport aux savoirs enseignés et personnalisé sa mise
en mots, ses outils et ses supports.
Il
faut pour cela être en mesure d'appréhender les effets du manque de
références culturelles. Ce n'est pas difficile. Il suffit de faire
le parallèle avec notre compréhension des modalités de
fonctionnement d'une autre civilisation ( époque ou lieu différent).
J'adore déambuler dans le musée Guimet à Paris (musée national
des Arts asiatiques). Il est beau et apaisant mais chaque oeuvre me
rappelle à quel point une culture peut être éloignée de la
mienne, à quel point je n'en ai que peu de clefs de lecture.
J'avais
envisagé de transformer l'image ci-contre en tee-shirt accompagnée
de la phrase: "Attends, je n'ai pas de bras qui ont poussés
pendant la nuit!" - phrase que je répète très fréquemment à
mes élèves impatients - mais je suis beaucoup trop respectueuse des
croyances d'autrui pour cela. Les choses restent belles et
plaisantes, elles peuvent nous toucher esthétiquement, on peut les
décrire, mais on ne sait quel sens y mettre, on ne voit pas les
valeurs qu'elles incarnent ou ont incarnées aux yeux d'autrui. Elles
sont, d'une certaine manière, vides de sens ou chargées d'un autre
sens. Nous avons le devoir de nous dire que nos élèves peuvent en
être là.
Dans
"La crise de la culture ", Hanna Arendt écrivit:"Les
valeurs sont des articles de société qui n'ont aucune signification
en eux-mêmes mais qui, comme d'autres articles, n'existent que dans
la relativité en perpétuel changement des relations et du
commerce sociaux".4
1La
question s'avère beaucoup plus vaste à l'échelle de tout le
cursus scolaire et est riche en rebondissements – parfois fort
outrançiers – depuis les ABCD de l'Egalité, autrement dit depuis
que l'Ecole a questionné et formalisé de façon explicite les
valeurs qu'elle entendait transmettre.
2La
polémique se focalise sur le contenu et les supports mais pose une
question de fond qui est le difficile équilibre à trouver pour
l'Ecole, en tant que représentante de l'Etat, dans l'acquisition
des valeurs morales, se plaçant dans un "savoir être" et
non uniquement dans un "savoir- faire". Ce n'est qu'un
épisode supplèmentaire de cette longue histoire qui a commencé
avec les divergences de visions éducatives de Sparte et d'Athènes
("une éducation spartiate") ou les nombreux conflits
entre l'Ecole laïque et les Institutions catholiques du temps de
Jules Ferry.
3Merci
à Internet, aux bibliothèques universitaires, à la BNF, aux sites
comme CAIRN info de mettre à disposition cette mine d'intelligence
et de réflexion en la rendant facilement accessible!
4p.47
Edition Folio
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