Parlons
un peu de la fonction sécurisante, stabilisante1,
du stéréotype à travers la littérature policière. L'usage,
parfois immodéré, de clichés a contribué à reléguer les romans
policiers dans la paralittérature, en marge de l'institution
littéraire comme en témoigne fort bien l'expression "roman de
gare". Le roman noir – un récit d'enquête étant toujours
affublé d'un adjectif et jamais du simple titre de roman – est systématiquement catalogué dans la littérature populaire, sans
doute en partie en raison de la place narrative des stéréotypes de
structures, de lieux, de personnages...
Mais
c'est aussi de là que vient, en partie, le côté sécurisant de la
littérature policière – malgré une immersion dans un monde
obscur peuplé de fantasmes et de peurs primitives - avec l'idée
que lire des polars à la chaîne, c'est aller à la recherche de
structures familières.2
Le
fonctionnement en séries est lui aussi extrêmement sécurisant. Dans
la littérature jeunesse, on considère que le personnage de série –
Petit ours brun , Tch'oupi ou Martine - aide à grandir, avec un
modèle, dans un monde idéal. Et cela fonctionne aussi bien que l'on
soit un adulte ou un enfant. La lecture de l'intégrale d'Agatha
Christie lors de ma première année étudiante, seule à Paris, lue
en grande partie dans le métro, peut être vu comme une façon
d'avoir toujours à portée de main un univers de référence stable
où les choses se finissent bien et où il y a une réponse.
En
ce sens, l'utilisation de l'archétype de l'enquêteur, avec l'idée
qu'il y a une réponse possible à la fin, rejoint le "ils se
marièrent et eurent beaucoup d'enfants" des contes de fées et
inscrit le processus dans une vision positive. De ce fait, cette fin
heureuse attendue permet d'aborder la question de la violence du
monde, tout comme dans les contes là aussi. On peut mettre en
parallèle la facilité du cliché de l'usage du merveilleux. Le
détective se rapproche d'ailleurs souvent par bien des points du
Petit Poucet, les indices remplaçant les petits cailloux, en
s'inscrivant tout autant dans un cheminement.
Lire
un roman policier, c'est s'aventurer sur un chemin solide, dans une
forme de prévisibilité – comme le train fantôme des fêtes
foraines. La connaissance des stéréotypes permet au lecteur de coopérer à la construction de ce monde virtuel, parfois à
l'enquête. Le texte policier - par sa construction même – nous
promène, avec délectation, dans une démarche de déchiffrement,
tout en étant saturé de pièges qui mettent en échec les
stratégies de lecteur. Il n'est jamais possible de deviner le
coupable d'un Agatha Christie avant le dernier cinquième du texte... dans le meilleur des cas. Tout le long de la lecture, on envisage des possibilités qui souvent s’avéreront fausses. On remet son jugement en question, on
reconstruit des hypothèses, on accepte de se tromper... le tout dans
une certaine quiétude, celle du déjà-lu.
Il s'agit donc de savoir utiliser ce personnage de l'enquêteur pour
poser, construire la quiétude dans le temps. Réfléchir,
conscientiser la sécurisation des démarches d'apprentissage en les
charpentant de clichés3,
est aussi un gage de réussite. L'inscription dans un processus, un
cheminement connu par les élèves permet de développer des
habilités dans une certaine quiétude, un peu comme quand on joue à
se faire peur. Apprendre, c'est comme marcher. A chaque pas, il y a
un moment de déséquilibre et pour ne pas tomber mieux vaut savoir
où l'on va poser le pied, du moins savoir qu'on va le poser sur un
chemin solide et jalonné.
1Le
philosophe américain Hilary Putnam voyait dans le stéréotype un
rôle stabilisateur en harmonie avec les traits finis,
conventionnels et obligatoires.
2Eco
– De Superman au surhomme
– 1993 et DUFAYS
3Berthold
Brecht rapprochait le roman policier de la musique par la solidité
de la construction policière, et par la place donnée aux clichés
charpentant le récit.
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